Artiste de l’intériorité et du rêve, Odilon Redon est l’auteur d’un œuvre gravé très singulier, au sein duquel la lithographie occupe une place primordiale. De cette œuvre majeure, la Fondation William Cuendet & Atelier de Saint-Prex possède une demi-douzaine de planches, dont Le Sommeil, Les yeux clos et un tirage à l’encrage magnifiquement contrasté, sans doute parmi les premiers du Pégase captif.
C’est au cours de son enfance, particulièrement solitaire, passée dans le domaine familial de Peyrelebade, près de Bordeaux, que Redon se prend de passion pour le dessin. Après un premier enseignement à l’adolescence auprès du peintre Stanislas Gorin (1824-1874), Redon découvre avec admiration l’art de Delacroix. Sa jeunesse bordelaise est marquée par deux rencontres importantes : celle du botaniste Armand Clavaud (1828-1890), qui lui fait découvrir la science et la littérature contemporaine (notamment Baudelaire et Flaubert), et celle du graveur Rodolphe Bresdin (1822-1885), qui l’initie à l’eau-forte et à la lithographie. Au cours des années 1860, Redon perfectionne sa pratique, expérimentant différentes techniques. En 1870, il est mobilisé au cours de la guerre franco-prussienne, expérience qui le marque profondément et qui constitue une étape fondamentale dans son développement en tant qu’artiste. À son retour du conflit, Redon s’installe à Paris, où il travaille en marge des modes de son temps, se démarquant non seulement de l’art académique, mais aussi des mouvements qui s’y opposent. De fait, la première partie de l’œuvre de Redon, portée par la lithographie et le fusain, et donc marquée par la prédominance des effets de contrastes ombre et lumière, dépeint un univers très singulier, caractérisé par la suggestion, l’indétermination et le rêve. Face à l’art de l’objectivité des impressionnistes, les noirs de Redon affirment un « droit à la fantaisie », un art de la subjectivité et de l’imagination. C’est seulement en 1881 que Redon, déjà quarantenaire, expose pour la première fois à Paris, dans les locaux de La Vie moderne. Cette exposition est remarquée par le critique Émile Hennequin, mais aussi par l’écrivain Joris-Karl Huysmans, qui évoquera, dans son célèbre roman À Rebours (1884), le « fantastique très spécial » et les « apparitions inconcevables » de Redon. Le livre apporte à Redon une certaine notoriété auprès d’une élite littéraire et artistique, lui permettant notamment de se lier avec le poète Stéphane Mallarmé, mais aussi avec les peintres Pierre Bonnard, Édouard Vuillard et Maurice Denis. Au milieu des années 1890, une rupture radicale intervient dans l’œuvre de Redon : alors que toute la première partie de celle-ci s’était fondée sur l’opposition du noir et du blanc, Redon passe de manière radicale à la couleur. La lithographie passe alors au second plan : c’est le début d’une période dominée par le pastel et la lumière, caractérisée par les motifs de fleurs, de portraits de femmes et d’enfants. Très affecté par le déclenchement de la Première Guerre mondiale, dans laquelle son fils est impliqué, Redon meurt en 1916 à Paris, à l’âge de 76 ans.
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La collection de la Fondation William Cuendet & Atelier de Saint-Prex comprend 6 estampes d’Odilon Redon. Trois d’entre elles (Caïn et Abel, Entretien mystique et Le Sommeil) proviennent de la collection d’Isabelle et Jacques Treyvaud, une autre (Portrait du peintre Pierre Bonnard) provient de la collection de Gérard de Palézieux. Deux autres lithographies ont été acquises en 2017 et 2020.