Dans tous les ateliers de gravure, mais particulièrement à l’Atelier de Saint-Prex, les artistes discutent volontiers des secrets de la technique et des prouesses de métier réalisées par les Anciens. Des images emblématiques sont commentées, soit en raison du mystère qui entoure encore leur fabrication, soit en raison de l’admiration générale qu’on porte à leur beauté. Degas, en raison de ses expérimentations multiples autour de la plaque, des papiers et des encres, est de ce point de vue l’un des graveurs les plus interrogés. La Fondation William Cuendet & Atelier de Saint-Prex possède, grâce au legs de Gérard de Palézieux, une quinzaine d’exemples de ce « bidouilleur » de génie, dont un monotype, et un tirage remarquable du cuivre intitulé Mary Cassatt au Louvre, Musée des Antiques (vers 1876).
Edgar Degas, l’une des figures les plus marquantes de l’art français de la fin du xixe siècle, grandit à Paris au sein d’une famille bourgeoise. Après avoir abandonné ses études de droit, il suit des cours à l’École des Beaux-Arts dès 1855. Grand admirateur d’Ingres, il s’imprègne aussi de l’art des grands maîtres, en allant régulièrement copier leurs œuvres au musée du Louvre et au Cabinet des estampes. À la fin des années 1850, il séjourne fréquemment en Italie, poursuivant son étude des grands maîtres passés. Au début des années 1860, il rencontre Édouard Manet et se tourne alors vers des sujets inspirés de la vie contemporaine. Au cours des décennies suivantes, Degas sera l’un des membres les plus importants du mouvement impressionniste, même si sa grande indépendance et son rapport au classicisme le placent légèrement en décalage par rapport au reste du groupe. La dernière partie de sa carrière est ternie par de graves problèmes de vue, en dépit desquels il continue à peindre et à sculpter.
Degas, dont l’œuvre gravé comprend 66 planches, sans compter plus de 200 monotypes, est à l’évidence l’un des grands peintres-graveurs de son époque. Ses travaux à l’eau-forte remontent à 1856, ce qui en fait un précurseur du « renouveau » de cette technique, consacré six ans plus tard par la création de la Société des Aquafortistes. Après quelques essais de paysages, Degas réalise une série de portraits gravés dans le genre de Rembrandt, dont un bel Autoportrait (1857), probablement réalisé à Rome, et, après son retour en France, trois remarquables portraits d’Édouard Manet. Après un long silence dans cette pratique, Degas y revient à partir de la seconde moitié des années 1870, inaugurant une période de créativité particulièrement intense, durant laquelle il compose certaines de ses plus belles estampes. Ce nouvel enthousiasme pour le procédé se traduit aussi par une soif d’expérimentation technique et une approche très inventive : Degas cherche inlassablement de nouvelles combinaisons dans le rendu des textures, commence à utiliser avec passion la lithographie et la technique peu courante du monotype (procédé d’impression sans gravure), dont il réalise certains des plus beaux exemples. Cette recherche constante se traduit aussi par la multiplicité des états : la Sortie du bain (1879-1880), par exemple, n’en compte pas moins de vingt-deux. Après l’échec d’un projet de revue « Le jour et la nuit », s’étant une nouvelle fois détourné de la pratique, Degas y reviendra toutefois encore au début des années 1890, avec une admirable série de nus féminins à leur toilette, traités en lithographie au gré de multiples expérimentations sur la pierre.