L’influence considérable que le « noir cerveau de Piranèse », décrit par Victor Hugo dans son poème des Contemplations « Les Mages » exerça sur les artistes et les écrivains de la fin du xviiie siècle et sur les premiers romantiques, cette « béante fournaise / où se mêlent l'arche et le ciel, / l'escalier, la tour, la colonne » fascine tout autant aujourd’hui les amateurs de gravure qu’ils soient praticiens de l’eau-forte ou simples contemplateurs de ces architectures visionnaires. La collection de la Fondation William Cuendet & Atelier de Saint-Prex comprend plus de 170 planches de l’artiste italien, réunies en suites ou en albums. Parmi les acquisitions récentes, on compte les 16 planches de la série des Carceri d’invenzione dans l’édition de 1761, un très rare album broché contenant 27 planches des Opere varie di architettura et 55 planches de la série des Vasi, candelabri, cippi, sarcofagi, tripodi, lucerne ed ornamenti antichi (1778). De la collection Palézieux, donnée en 2005, proviennent 14 planches des Vues de Rome, 21 planches des Vues de Paestum, 30 planches des Antichita romane et 4 planches de la série des Grotteschi.
Si la figure légendaire de Piranèse est indissociable de la magnificence de Rome et de ses ruines, c’est à Venise que naît, en 1720, le célèbre graveur. Avant d’être initié à l’eau-forte dans l’atelier du graveur Carlo Zucchi, le jeune Piranèse suit d’abord une formation d’architecte auprès de son oncle qui semble avoir été interrompue en raison du manque de chantiers dans la Cité des Doges. Le jeune homme de vingt ans qui arrive à Rome dans la suite de l’ambassadeur vénitien découvre avec émerveillement les vestiges de l’Antiquité. Il intègre alors l’atelier du graveur sicilien Giuseppe Vasi et commence à réaliser ses premières vedute de la ville, qui rencontrent un certain succès auprès des touristes de passage à Rome. Mais le véritable coup d’éclat de Piranèse survient avec la publication, vers l’année 1750, des Carceri d’invenzione (Prisons imaginaires), où une parfaite maîtrise du clair-obscur se mêle à une imagination débordante pour donner naissance à une série de 14 planches aussi fascinantes qu’angoissantes, qui marqueront profondément l’imaginaire européen. Sa passion pour l’Antiquité l’amène à développer considérablement ses connaissances archéologiques, qui se manifestent pleinement dans ses nombreuses planches des ruines romaines réunies dans le recueil des Antichità romane (1756). Ses connaissances en matière d’architecture s’associent à sa maîtrise de l’eau-forte pour donner à ses vues de la ville, réunies dans le recueil posthume des Vedute di Roma, une valeur documentaire et historique de premier plan. En 1757, Piranèse est admis au sein de l’Académie de Saint-Luc, la plus prestigieuse des associations d’artistes de Rome. Il devient un artiste renommé et apprécié du pouvoir, en particulier sous le pontificat de Clément XIII (1758-1769), d’origine vénitienne. Travailleur infatigable, Piranèse édifie une œuvre monumentale (son catalogue raisonné comprend plus de 1 000 gravures) jusqu’à sa mort en 1778, à l’âge de cinquante-huit ans.