L’œuvre de Claude Mellan ne pouvait que fasciner des artistes qui ont été d’emblée sensibilisés par leur maître Albert Edgard Yersin au langage des structures et son « écriture de la méthode ». Le virtuose français qui parvient à construire son image par les seuls jeux de son burin distribuant les noirs et blancs par simples épaisseurs ou écartements de la ligne, est l’objet de toutes les questions des praticiens et fait l’admiration des collectionneurs. C’est la raison pour laquelle la Fondation William Cuendet & Atelier de Saint-Prex compte aujourd’hui plus de 270 planches de Claude Mellan dans ses tiroirs ; la plupart lui ont été offertes par Isabelle et Jacques Treyvaud. Cet important ensemble regroupe aussi bien les portraits que les sujets religieux. D’autres planches proviennent de la collection de Gérard de Palézieux, déposée officiellement en 2005 et entrée dans les collections définitivement en 2012, dont l’Autoportrait (1635) et un exemplaire de La Sainte Face (1649). En 2016, la Fondation a encore acheté 14 planches de la série représentant les statues de la Galleria Giustiniana del Marchese Vincenzo Giustiniani dont un exemplaire de la célèbre Agrippine sortant du bain (1640).
C’est à la fin des années 1610, à une période où l’estampe française se trouve dans une phase de relative inertie, que Claude Mellan (1598-1688) commence à Paris son apprentissage de graveur. Peu après avoir installé son atelier à la rue Saint-Jacques, son talent est rapidement remarqué par un riche savant et collectionneur aixois, Nicolas-Claude Fabri de Peiresc. C’est sans doute grâce au soutien de celui-ci que Mellan peut s’installer en 1624 à Rome, où il restera douze ans. Cette période italienne constitue pour Mellan une intense phase d’apprentissage, d’abord au contact de graveurs comme Francesco Villamena et Antonio Tempesta, puis de grands artistes comme le Bernin ou le peintre français Simon Vouet. À Rome, Mellan perfectionne non seulement sa maîtrise du dessin et de la composition, mais commence aussi à fréquenter l’élite intellectuelle et artistique, ce qui lui donne l’occasion de réaliser de nombreux portraits. Sa technique de graveur se développe considérablement, donnant progressivement naissance à une syntaxe très personnelle, qui se fonde à la fois sur une exécution complexe et une grande économie de moyens : l’utilisation des tailles et contre-tailles, très courante dans la gravure au burin, est volontairement délaissée au profit d’un système de lignes contiguës. Dans cette méthode de composition novatrice, ce n’est plus l’entrecroisement des traits qui détermine la répartition des volumes et de la lumière, mais le degré d’épaisseur de chaque ligne et l’espacement laissé entre chacune d’elles. De retour en France à la fin des années 1630, Mellan met au profit cette technique dans les portraits des érudits et des hommes de lettres qu’il côtoie (Gassendi, La Mothe Le Vayer, Guez de Balzac). Mais c’est dans la célèbre Sainte Face (1649) que le procédé mis au point par Mellan se manifeste de la manière plus éclatante : l’ensemble de la composition est constitué à l’aide d’une taille unique se déployant en spirale à partir de la pointe du nez du Christ. Prenant activement part au renouveau de la gravure française dans la première moitié du xviie siècle, Mellan se voit octroyer un logement à vie au Louvre, et obtient de nombreuses commandes, dont la reproduction par le burin des statues antiques appartenant aux collections royales. À la fin de sa vie, il consacre au thème de la Passion du Christ une série de gravures qui, par l’impression d’harmonie et de limpidité qu’elles dégagent, justifient pleinement l’expression de « gravure blanche » employée par Florian Rodari pour qualifier l’art de Mellan.