L’œuvre de Bresdin ne peut manquer de fasciner les artistes de l’Atelier de Saint-Prex tant en raison de son immense pouvoir imaginaire que par la virtuosité du langage auquel l’artiste a eu recours pour l’exprimer. Edmond Quinche, Pierre Schopfer, Palézieux n’ont cessé d’interroger les secrets de ses images. La collection de la Fondation William Cuendet & Atelier de Saint-Prex compte huit estampes de Rodolphe Bresdin. Deux d’entre elles (Le Cours d’eau et Le Gave) proviennent du legs de Gérard de Palézieux ; les six autres, dont la célèbre lithographie datée de 1861 et intitulée Le Bon Samaritain, ont été acquises entre 2016 et 2020.
Pur graveur, artiste isolé et intemporel, Rodolphe Bresdin apparaît comme l’une des figures les plus singulières de l’histoire de la gravure. Né en 1822 sur les bords de la Loire, Bresdin arrive très jeune à Paris, où il réalise ses premières eaux-fortes. La vie de bohème qu’il mène alors, mal connue, a longtemps été réduite à la caricature qu’en a tirée l’écrivain et critique d’art Champfleury dans sa nouvelle Chien-Caillou (1845). Peu après la révolution de 1848, Bresdin quitte Paris pour la Corrèze, dont les paysages naturels lui inspirent de nombreuses eaux-fortes. Il continue de mener une existence très pauvre, qui se poursuit lors de son séjour à Toulouse (1852-1861). Alors qu’il avait jusqu’ici avant tout pratiqué l’eau-forte, Bresdin se tourne alors vers la lithographie, procédé qui lui permet de tirer parti de ses dons de dessinateur. L’adoption de cette technique donne naissance à plusieurs compositions aboutissant au Bon Samaritain (1861), une planche d’une prodigieuse inventivité, souvent désignée comme son chef-d’œuvre. Cette réussite permet à Bresdin d’entrevoir le succès, ce qui le décide à revenir à Paris. Grâce à l’aide de Baudelaire – qui aurait dit de Bresdin, « qu’à défaut de talent, il avait du génie » –, il rencontre Théophile Gautier et obtient un contrat pour réaliser les illustrations d’une publication d’avant-garde, la Revue fantaisiste. Les pièces qu’il expose au Salon de 1861 inspirent un article élogieux au poète Théodore de Banville. En dépit de ces relatifs succès, Bresdin décide subitement de quitter Paris, s’installant d’abord à Fronsac, puis à Bordeaux. Les années que l’artiste passe à Bordeaux comptent parmi les plus productives de sa carrière : disposant désormais de sa propre presse, il réalise une importante série d’eaux-fortes, et devient également le maître du jeune Odilon Redon, qui gardera toujours une profonde admiration pour son initiateur en matière de gravure. En 1869, Bresdin tente à nouveau sa chance à Paris, mais des problèmes de santé s’ajoutent à ses difficultés financières. Ce séjour est encore perturbé par la guerre franco-prussienne, puis par la Commune, à laquelle Bresdin semble avoir pris part. Après une nouvelle période créatrice au sortir de la guerre, en 1873 Bresdin fait le choix radical d’émigrer au Canada avec sa famille. Mais ce séjour nord-américain se solde sur un échec retentissant, l’obligeant à se replier une fois de plus à Paris en 1877. Il passe ses dernières années à Sèvres, dans la solitude et la pauvreté la plus extrême. Ce qui ne l’empêche pas de réaliser des œuvres de premier plan, comme sa dernière eau-forte, Mon Rêve (1883), ou comme sa dernière lithographie, Le Gave (1884). Son œuvre gravé compte 140 eaux-fortes et 20 lithographies.